Il est minuit ; on est le 20 décembre. La fête commerciale - je ne souhaite pas rentrer dans les débats sur la religion, restons en dehors de tout ça. Ce n'est que mon humble avis, sachant que le Père Noël s'est laissé repeindre par une franchise de pacotille (vive Pepsi !) - la plus connue du monde approche à grands pas, et je n'ai toujours pas préparé mon cadeau à ma fiancée. Il faut dire que je ne suis vraiment pas du genre à être gourmand avec mon porte-feuilles... Néanmoins, à chaque fois, j'y cède. Je fais ça pour mon amour. J'ai été triste lors de notre romance, mais elle a toujours su me réconforter. J'irais jusqu'à payer mon salaire annuel, juste pour lui plaire. Je suis ce genre d'homme, celui qui abandonne corps et âme pour sa femme...
Le soir, je finis le boulot. J'embarque dans ma 206, puis fonce à l'hypermarché. À 11 heures, ça doit être encore ouvert. Je n'y vais jamais à cette heure-ci. Manque de chance : c'est bel et bien le cas, mais le petit magasin de bijoux qui est installé dedans lui, ne l'est pas. Bon, ben, je vais rentrer, même si j'ai un goût amer dans ma bouche...
Il est minuit ; on est le 21 décembre. Noël arrive trop rapidement. Je n'ai pas pu acheter mon cadeau, et ma femme, ne voulant rien entendre, c'est fâchée car je suis rentré trop tard. Elle croit que j'ai pris du bon temps avec une collègue... Je crois que c'est l'une des premières disputes depuis sept ans ; je ne me souviens même plus de la dernière fois où l'on s'est querellés. Elle m'a accusé de « putain d'égoïste qui ne pense qu'à lui ». Malgré tout le boucan, mes deux enfants n'ont pas été réveillés. Je m'en voudrais s'ils étaient dérangés dans leur paisible sommeil.
Mon amour a beaucoup pleuré cette nuit-là. Elle m'a envoyé dormir au salon. J'ai moi aussi beaucoup pleuré. Et cette fois-là, j'étais triste, et elle ne m'a pas réconforté.
La journée, on ne s'est pas parlé, ni même échangé un regard. J'aurais beau tenté de m'innocenter, tout ce qu'elle ferait serait de m'indigner encore plus. Alors je suis parti, en ayant fait la bise aux gosses, Charlie et Martin. Au moins, au boulot, je ne risque pas de me faire engueuler pour des choses fausses.
Le soir, j'ai supplié mon patron pour pouvoir terminer plus tôt et pouvoir aller acheter son cadeau. Coup de bol ou non, aujourd'hui le boss était clément, donc j'ai pu négocier contre quelques heures sup' une autre semaine. Arrivé à la boutique de bijoux dont je ne citerai pas le nom (Swarovski), il ne restait presque rien. Presque, car il restait quelques articles... d'une valeur inestimable pour la chose. Mais... comment me priver de ça ? Je me suis fait passer un savon, j'ai des heures sup', et je vais passer le pire Noël de ma vie. Et ne pourrais-je pas sauver deux des situations en payant cette alliance ?
Il est minuit ; on est le 22 décembre. J'ai acheté l'alliance. Je l'ai mise bien au chaud dans ma Renault, pour pas que ma fiancée ne la découvre. Un secret est un secret. De retour à la maison, l'ambiance n'avait guère trop changé depuis mon départ, ce qui m'a un peu attristé. J'ai tout de même réussi à obtenir le droit de re-dormir dans notre chambre. J'ai remarqué du premier coup d'œil que son regard avait changé. Elle semblait « triste », son visage radieux d'autrefois qui m'avait charmé n'était plus.
Le matin, mes remarques s'avérèrent véridiques ; elle portait de grandes cernes, ses sourcils fronçaient, bref, je ne la reconnaissais plus. J'ai tenté de me rassurer, quand, ma curiosité me fit jeter un coup d'œil au papier qui était posé sur la télévision, de sorte à ce que les enfants ne puissent l'attraper. Je lus alors trois mots bien distincts « RÉSULTAT : FORTE DÉPRESSION ».
Je suis allé au boulot, faisant mine de n'avoir rien vu. Je suis bouleversé de cette nouvelle, et pire encore : je ne savais pas quoi dire. Alors, n'ayant d'autre choix que de laisser passer, je me mis au travail... Je déteste tout cela.
Vers quatre heures et demie, le téléphone sonna. J'appelais, croyant à un client, je me mis à dire la routine : « ******* bonjour ! Je vous écoute ! »
Mais ce que j'entendis de l'autre côté de la ligne m'était familière. C'était le proviseur de l'école de mes fistons...
«
- Monsieur ***** ? Vous m'entendez ?
oui, je vous reçois cinq sur cinq... Qu'est-ce qui se passe ? »
Il était affolé, et respirait lourdement. Sa voix était rauque, et hésitante.
... Monsieur, je suis au regret de vous apprendre que... le bus qui transportait la classe de Martin et Charlie ***** a eu un accident. Ils... Ils sont décédés ce matin. Seuls quelques enfants ont survécu, mais ont reçus des blessures graves. »
Tout mon univers s'est effondré.
Mes deux fils ont été victimes d'un accident. Non... NON ! Je n'arrive pas à le croire. Je pleurais à chaudes larmes juste après avoir raccroché, sans avoir lâché une seule parole.
Ma femme n'était pas au courant. Je recommençais alors à chialer comme un gamin, quand elle s'exclama, lorsque je rentrais : « Tu n'aurais pas vu les enfants ? ». J'ai dû lui raconter ce qu'il s'est passé.
Il est minuit ; on est le 23 décembre. Je n'arrive pas à dormir. Comment le pourrais-je ? Je suis à l'hôpital. Ma femme a tenté de mettre fin à ses jours pendant que je repartais à l'école. Il semblerait qu'elle ait raté de peu un point vital, et est donc actuellement sous une opération urgente. Mon incapacité, depuis le début de l'histoire, me rend tellement coupable... J'en serrais mes poings jusqu'à ce qu'ils saignaient...
L'un des médecins est sorti de la salle. Il est trois heures du matin. Je tenais à peine sur mes jambes, quand il prononça simplement : « On n'a pas pu la sauver. Elle est morte. Nos sincères condoléances. »
Il est minuit ; on est le 24 décembre. J'ai passé la journée entière à boire. Je ne me sens plus très bien. J'ai déjà vomi mes tripes trois fois en une heure. La dernière m'a fait cracher du sang. Ma fin est proche. Si ce n'est pas la Mort qui vient me chercher, eh bien ce sera moi qui viendrais à elle. Je perds peu à peu conscience, alors que je suis finalement retourné chez moi, après ma longue séance de buvette... Je me mets à déblatérer des paroles sans queue ni tête, et ne cherche même pas à ménager mes souffrances en allant prendre des médicaments...
Je suis tombé.
Alors que mes yeux ne tenaient plus, je vis alors une feuille A4, accroché au couloir, de sorte à être forcément distinguée par n'importe qui ouvrant la porte d'entrée. Il était marqué : « DÉSOLÉ ».
Ne t'inquiète pas. Ne vous inquiétez pas.
Je viens vous rejoindre.
Il est minuit ; on est le 25 décembre. Aujourd'hui c'est Noël. Je n'ai pas pu donner mon cadeau à temps. Puisse-tu me pardonner.
